Ouvrages de génie civil et clause d’exclusion de l’impropriété à la destination
Civ. 3, 21 novembre 2019, n°18-21931
Les travaux de génie civil ne sont pas couverts par l’assurance de construction obligatoire, de sorte qu’est valable la clause de définition du risque par laquelle l’assureur précise que le contrat n’a pas pour objet de garantir les dommages qui rendent l’ouvrage impropre à sa destination.
Observations: Même si sa portée ne doit pas être surestimée puisqu’il n’est pas destiné à une publication au bulletin, cet arrêt de cassation présente un réel intérêt. Deux enseignements au moins peuvent être tirés de sa lecture. Le premier prend la forme d’un rappel et concerne l’état du droit antérieur : la Cour confirme que, dans la rédaction initiale de la loi Spinetta du 4 janvier 1978, c’est-à-dire avant que l’ordonnance du 8 juin 2005 ne vienne lister les ouvrages dits non soumis (article L. 243-1-1 du code des assurances), le critère permettant de définir le champ d’application des assurances obligatoires et la notion d’ouvrage de bâtiment mentionnée dans la loi était constitué par l’utilisation, lors de la construction, des « techniques des travaux de bâtiment ». Le second, plus novateur, concerne un sujet de pleine actualité, à savoir la question de la validité d’une clause restrictive que l’on rencontre de plus en plus fréquemment dans les contrats d’assurance proposés sur le marché : lorsque l’assurance de responsabilité décennale est délivrée sur une base facultative, au titre donc d’un ouvrage non soumis à obligation d’assurance, la garantie peut-elle être limitée aux dommages de nature décennale qui portent atteinte à la solidité de l’ouvrage, à l’exclusion de ceux qui le rendent impropre à sa destination ?
Les constructions faisant appel aux techniques des travaux de bâtiment
On ne fera qu’évoquer rapidement cet aspect de l’arrêt, à caractère quasiment historique, pour rappeler qu’après l’annulation par le Conseil d’État de la définition des ouvrages de bâtiment qui avait été donnée par un simple arrêté comme étant « les constructions élevées sur le sol à l’intérieur desquelles l’homme est appelé à se mouvoir et qui offrent une protection au moins partielle contre les agressions des éléments naturels extérieurs »[1], la Cour de cassation a imposé une conception beaucoup plus extensive du champ d’application des assurances obligatoires. Elle a en effet décidé, par un arrêt de principe de 1991, qu’un ouvrage, en l’occurrence un mur de soutènement, relève des obligations d’assurance, dès lors que « sa construction a fait appel aux techniques des travaux de bâtiment »[2]. A la même époque, avaient pu être considérés comme soumis à obligations d’assurance des ouvrages tels qu’un silo à grains[3] ou un court de terrain de tennis découvert[4].
Le refus par le marché d’adopter une conception aussi large de la notion de bâtiment a conduit à la désignation par les pouvoirs publics d’un comité d’experts présidé par le Professeur Périnet-Marquet, puis à l’adoption de l’ordonnance du 8 juin 2005[5], réforme ayant finalement conduit à l’abandon de l’insaisissable notion de bâtiment. C’est désormais par une interprétation a contrario de la liste les ouvrages non soumis, fixée par l’article L. 243-1-1 du code, qu’il est possible de définir le champ d’application des assurances obligatoires.
Cette réforme datant de quelque 15 ans, on pourrait être surpris de voir la Cour se référer, encore aujourd’hui, à l’ancienne notion de technique des travaux de bâtiment. En réalité, les dispositions de droit transitoire[6] permettent de l‘expliquer aisément : l’ordonnance du 8 juin 2005 ne s’applique qu’aux « marchés, contrats ou conventions conclus » après sa publication, à savoir le 9 juin 2005, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
Notons, néanmoins, qu’il faut peut-être voir, dans cette réaffirmation de la référence aux techniques des travaux de bâtiment, une volonté de la Cour de cassation de marquer son attachement aux solutions qu’elle a traditionnellement consacrées, même si ces dernières ont été contestées par la pratique et contredites par le législateur ! On le voit en effet par ailleurs avec d’autres arrêts très récents[7] qui reviennent sur la condamnation, prononcée à la même époque, des clauses bases réclamation[8] et affirment que « le versement de primes pour la période qui se situe entre la prise d’effet du contrat d’assurance de responsabilité et son expiration, a pour contrepartie nécessaire la garantie des dommages qui trouvent leur origine dans un fait qui s’est produit pendant cette période ».
Toujours est-il que c’est à l’aune de la notion des techniques des travaux de bâtiment que cet arrêt est rendu. Dès lors que la cour d’appel n’a pas constaté que la construction de la station d’épuration[9] objet du contentieux avait fait appel aux techniques des travaux de bâtiment, l’assurance de responsabilité décennale délivrée à l’entrepreneur en charge de sa réalisation restait une garantie facultative et n’était pas soumise aux clauses-types fixés par l’article A. 243-1 du code des assurances. Le résultat eut été le même si l’arrêt avait été rendu en application du droit aujourd’hui en vigueur, puisque l’article L. 243-1-1 du code des assurances vise, parmi les ouvrages non soumis aux assurances obligatoires, « les ouvrages de traitement de résidus urbains, de déchets industriels et d’effluents ».
L’exclusion de l’impropriété à la destination
La cour d’appel, dont l’arrêt est censuré à cet égard, avait estimé que la clause limitant la garantie de la responsabilité décennale de l’entrepreneur aux seuls dommages portant atteinte à la solidité de l’ouvrage se heurtait au caractère exhaustif des exclusion prévues par les clauses-types.
Nul doute, en effet, qu’une telle clause d’exclusion est nulle lorsque s’appliquent les règles propres à l’assurance de responsabilité décennale obligatoire. Ainsi, au visa de l’article L. 243-8 du code des assurances et compte tenu de l’interdiction de toute clause ayant pour effet d’altérer le contenu ou la portée de la garantie fixée par les clauses-types, la Cour de cassation a-t-elle déjà eu l’occasion d’affirmer dans un bel arrêt de principe : « la clause limitant la garantie aux seuls dommages affectant la structure de la piscine fait échec aux règles d’ordre public relatives à l’étendue de l’assurance de responsabilité obligatoire en matière de construction et doit, par suite, être réputée non écrite »[10]. La Cour avait admis, à cette occasion, implicitement mais nécessairement, que la construction d’une piscine d’agrément relevait des assurances obligatoires.
Qu’en est-il, en revanche, dans le cadre d’une garantie facultative ? Selon la Cour de cassation, au contraire, « est valable la clause de définition du risque par laquelle l’assureur précise que le contrat n’a pas pour objet de garantir les dommages qui rendent l’ouvrage impropre à sa destination ».
L’affirmation mérite commentaire. Quant à la qualification de la disposition contractuelle litigieuse, notons tout d’abord que la référence à une simple clause de définition du risque ne doit pas prêter à confusion : il s’agit bien -à notre sens indiscutablement- d’une clause d’exclusion, en ce sens que, si elle contribue effectivement à la définition du risque assuré, elle le fait en retranchant une partie de la garantie normalement due dans un contrat dont l’objet est de couvrir la responsabilité décennale de l’assuré. Pour reprendre la terminologie adoptée par une partie de la doctrine[11] et que nous rappelions récemment dans cette chronique[12], une telle clause « troue » la garantie délivrée.
Pourquoi la précision est-elle d’importance ? Tout simplement parce que les clauses d’exclusion sont soumises à des conditions de validité qui leurs sont propres en vertu de l’article L. 113-1 du code des assurances et qu’elles doivent en particulier présenter un caractère formel et limité. Échappant à la nullité qui se serait imposée dans le cadre de l’assurance de responsabilité décennale obligatoire, l’exclusion contractuelle de garantie des dommages rendant l’ouvrage impropre à sa destination sans porter atteinte à sa solidité reste donc, au titre d’une assurance de responsabilité facultative, exposée au contrôle jurisprudentiel de son caractère formel et limité. Cela suppose, comme le montre une jurisprudence abondante, non seulement que la rédaction de la clause soit dénuée d’ambiguïté et permette à l’assuré de savoir dans quels cas le contrat s’applique, mais encore qu’elle ne vide pas la garantie de sa substance.
À notre connaissance, la Cour de cassation n’a pas eu l’occasion, jusqu’à présent, de se prononcer sur la question de la validité de l’exclusion de l’impropriété à la destination au regard de l’article L. 113-1 alinéa 1 du code des assurances, question qui, compte tenu des prétentions des parties, n’est pas davantage tranchée par le présent arrêt. Pourtant, les deux critères de gravité retenus par l’article 1792 du code civil pour caractériser le dommage de nature décennale, le premier attaché à la solidité de l’ouvrage et le second à sa destination, ne sont pas aussi aisés à distinguer que l’on pourrait a priori le penser.
A cet égard, rappelons que, contrairement à une opinion parfois soutenue, la prise en compte de la notion d’impropriété à la destination pour caractériser le dommage de nature décennale ne constitue pas une innovation de la loi Spinetta, encore moins une extension qui aurait été en quelque sorte greffée par le législateur sur une conception traditionnelle de la responsabilité décennale limitée à la solidité de l’ouvrage. Bien au contraire, c’est en interprétant la rédaction ancienne de l’article 1792 du code civil, qui mentionnait, avant comme après la réforme de 1967[13], l’hypothèse dans laquelle « l’édifice périt en tout ou en partie », que la jurisprudence judiciaire[14], rejoignant d’ailleurs sur ce point la jurisprudence administrative[15], a retenu le critère de l’impropriété à la destination, et ceci afin de distinguer les dommages suffisamment graves de ceux qui, bien qu’affectant les gros ouvrages, ne justifiaient pas la mise en jeu de la responsabilité décennale. Le législateur du 4 janvier 1978 n’a fait, à cet égard, que fixer le droit positif en consacrant un critère de gravité dégagé par la jurisprudence, critère qui, répétons-le, venait en quelque sorte préciser la notion de péril.
En introduisant (ou en ressuscitant) une distinction que le droit de la responsabilité n’a jamais réellement consacrée, ni permis de clarifier et qui, en tout état de cause, ne se justifie plus depuis des dizaines d’années, la clause d’exclusion de garantie au titre des dommages qui rendent l’ouvrage impropre à sa destination sans porter atteinte à sa solidité ne participe certainement pas à lever toute ambiguïté sur le contenu contractuel ! L’atteinte à la solidité se limite-t-elle à l’effondrement, voire à la menace grave et imminente d’effondrement[16] ? Quid d’un ouvrage affecté de fissures infiltrantes et ou encore de graves défauts d’étanchéité ? Cette exclusion contractuelle, dont nous avons déjà souligné combien elle pouvait être trompeuse et difficile à appréhender en pratique pour les assurés, mériterait pour le moins à notre sens d’être passée au crible de l’article L. 113-1 du code des assurances.
[1] Arrêté du 17 novembre 1978 introduisant un article A. 241-2 dans le Code des assurances en application de la loi n°78-12 dite Spinetta. Ce texte a été annulé par CE, 30 nov. 1979, req. n°15935 et 17366, Fédération nationale des travaux publics et Association des jeunes architectes : Rec. Conseil d’État, p. 436 ; D. 1980, inf. rap., p. 117, note Devolvé ; RGAT 1979, p. 483 ; RDI 1980, p. 30, obs. G. Durry ; AJPI 1980. 3. 224, note F. Moderne, au motif que « la détermination des principes fondamentaux de l’obligation d’assurance instituée par l’article L. 241-1 du code des assurances relève du seul domaine de la loi.
[2] Arrêt Jan, Civ. 1re, 26 février 1991, n°89-11.563 ; Bull. civ. I, n° 75 ; RGAT 1991 p. 402, note J. Bigot.
[3] Civ. 1ère, 19 décembre 1989, n°88-13.840, RDI 1990, p. 223, obs. P. Dubois (solution implicite).
[4] Civ. 1re, 2 mai 1990, RGAT 1990. 585, obs. A. d’Hauteville ; RDI 1990. 514, obs. Ph. Dubois ; Civ. 1re, 23 juin 1992, RGAT 1992. 573, note J. Bigot ; RDI 1993. 106, obs. Ph. Dubois (interprétation des clauses contractuelles).
[5] Ordonnance n°2005-658 du 8 juin 2005 ; G. Leguay « L’ordonnance sur le champ d’application des obligations d’assurance en matière de construction », RDI 2005, p. 250.
[6] Article 5.
[7] Civ. 3, 28 novembre 2019, n°18-22.009 ; Civ. 3, 5 décembre 2019, n°18-16.978.
[8] Civ. 1, 19 décembre 1990, n°88-12.863 (sept arrêts), RGAT 1991, p. 155, concl. Carbonnier, note J. Bigot. Solution renforcée et généralisée par Civ. 1re, n° 94-17061 et 94-20060 ; RGDA 1998, 124, note L. Mayaux, JCP 1998, II, 10 018, rapport P. Sargos, avant l’intervention du législateur avec la loi n°2003-706 du 1er août 2003 instaurant l’article L. 124-5 du code des assurances.
[9] Pour un arrêt s’étant au contraire référé aux clauses-types et à l’inopposabilité de la franchise dans le cas de la construction d’une station d’épuration, voir Civ. 1ère, 31 mai 1989, n°87-15.627, RDI 1989, p 482, obs. P. Dubois, RGAT 1989, p. 870, note J. Bigot.
[10] Civ. 3, 4 février 2016, n°14-29790 et 15-12128, RDI 2016, p. 234, obs. J. Roussel.
[11], Y Lambert-Faivre et L. Leveneur, Précis Dalloz « Droit des assurances », 14ème éd. 2017, n°467 ; L. Mayaux, in « Traité de droit des assurances » sous la direction de J. Bigot, t.3, « Le contrat d’assurance », LGDJ, 2ème éd., 2014, n°1702 et s. ; sur l’ensemble de la question, J. Kullmann, Lamy assurances, 2020, n°262 et s.
[12] RDI 2019, p.633, obs sous Civ. 3, 17 octobre 2019, n°18-17.058, « Exclusion de garantie et attestation d’assurance de responsabilité professionnelle ».
[13] Loi n°67-3 du 3 janvier 1967.Sur les incertitudes apparues pour interpréter cette condition, A. Caston, « La responsabilité des constructeurs », 1ère éd. 1974, éd. L’actualité juridique, p. 45 et s.
[14] Civ. 1, 5 janvier 1960, Bull. civ. I, n°5, p. 5 ; Civ. 3, 9 décembre 1970, Bull. civ. III, n°682, p.495 ; D.1971, somm. p. 5 ; adde J.-P. Karila « Les responsabilités des constructeurs », encyclopédie Delmas, 2ème éd. 1991, J 51 et s.
[15] CE, 24 juillet 1934, Lazzarini, Lebon, p.885.
[16] Sur cette notion, loin de se confondre avec l’impropriété à la destination, Civ. 3, 5 mai 2015, n°14-12.235, RGDA 201, note L. Karila ; RDI 2015, p. 364, obs. J. Roussel.